A première vue tout les sépare. Entre Cadremploi, prolongement naturel des cabinets de recrutement « brick and mortar » détenu par le plus vieux groupe de presse français (Le Figaro) et Monster, la start-up américaine de culture informatique, c’est d’abord un conflit de génération.

 A seconde vue tout les rapproche. Face au leader mondial qui revendique en France 3 millions de visites mensuelles et  7 000 clients, la fusion entre Cadremploi et Keljob a donné naissance à Adenclassifieds, champion national fort de 2,8 millions de visites mensuelles et 10 000 clients. Il faut ensuite descendre à 750 000 visites et 2 000 clients pour trouver RegionsJob… Le trou est fait derrière ce duel de géants dont les stratégies structureront demain le marché du e-recrutement en France.

Deux stratégies qui en apparence, présentent un certain nombre de similitudes.

 

D’abord, l’acquisition d’une masse critique par la croissance externe : la constitution d’Adenclassifieds répond aux rachats opérés en Europe par Monster, en particulier ceux de JobPilot et d’EmailJob.

Ensuite, les deux acteurs se partagent le gâteau de la syndication sur les sites d’information. Certes, leurs cibles divergent et traduisent leur culture, plus  orientée vers les médias du côté d’Adenclassifieds (TF1, France Télévision, L’Express, Libération, L’Etudiant, La Voix du Nord…) et vers les portails Internet du côté de Monster (AOL, Club Internet, MSN, Neuf Telecom…)

Enfin, une même présence massive sur les grands médias, avec 16 millions d’euros investis en 2006 par Monster, dont le parrainage d’événements sportifs tels que Rolland Garros, et sans doute un peu moins de 10 millions (chiffre non communiqué) du côté de Cadremploi qui accompagne les matchs de l’équipe de France de football.

Mais derrière ces convergences apparentes se cachent deux politiques opposées :

Monster : une marque généraliste leader.

Avec une notoriété supérieure à celle de Keljob et Cadremploi réunis et près de la moitié de son trafic réalisé directement, Monster parvient en France – comme ailleurs dans le monde – à créer un réflexe qui associe la recherche d’emploi sur Internet à sa marque. C’est là le résultat de sa politique d’acquisitions, qui vise essentiellement à migrer des portefeuilles de clients complémentaires vers une marque unique qui concentre la totalité des efforts de communication.

« recreuser l’écart »

Une politique offensive, mais pas uniquement. Face à l’émergence des agrégateurs gratuits dont les représentants américains (Indeed et SimplyHired en attendant Google) rencontrent un franc succès, Monster entend défendre le modèle d’intermédiation payante qui a fait son succès. Contrairement à CareerBuilder qui utilise ce nouveau canal pour développer son trafic, il a racheté l’un de ces agrégateurs pour mieux endiguer sa montée en puissance.

Aujourd’hui réactivé aux USA mais ne référençant que les offres issues de Monster, FlipDog pourrait préparer l’avenir du groupe sur ce nouveau segment de marché. Officiellement pourtant, il n’en est rien. « Pas de revirement »  déclare Guillaume Pontnau, directeur du pôle agences, qui souligne qu’en Europe, « le modèle [des agrégateurs] pas n’a pas encore pris ».

Pour « recreuser l’écart » avec une concurrence qui se resserre, la priorité affichée par Monster est d’investir dans son produit.  Mono-marque mais pas mono-culture, Monster diversifie ainsi de plus en plus l’ergonomie de ses différents sites nationaux pour optimiser le taux de satisfaction des internautes. En France, la classification par secteurs utilisée dans les pays anglo-saxons a ainsi laissé la place à des « portails thématiques » qui donnent accès à des offres contextualisées pour les entrepreneurs, les fonctionnaires, les femmes, les jeunes diplômés ou les personnes handicapées. Une segmentation qui positionne notamment la marque comme une référence de la diversité et de l’accessibilité, et valorise les accords passés avec la Halde et l’Adapt.

Enfin, un « investissement massif dans le web 2.0 » a été annoncé par Andrea Bertone, nouveau président de Monster Europe du Sud. Selon Guillaume Pontnau, il s’agit « d’offrir plus d’interactivité » dans la relation entre candidats et recruteurs. La possibilité d’interview des recruteurs, ainsi que l’ouverture « d’assesment centers » virtuels, font ainsi partie des nouveautés attendues sur le site.

Adenclassifieds : des marques en compétition

Le web 2.0, c’est l’une des forces du nouvel ensemble issu de la fusion entre Cadremploi et Keljob, dans lequel le second apporte ses nombreuses innovations technologiques. Au-delà de la complémentarité affichée des internautes ciblés (avec moins de 15% de Cv en doublon dans les bases de données du groupe), c’est une gamme complète de services et autant de modèles économiques – Métamoteur, jobboards généralistes, spécialisés ou à bas-prix, réseaux de cooptation, CVthèques, solutions ASP… – qui est désormais commercialisée par le groupe.

 

De là à imaginer des stratégies de publication multi-canals pour densifier la visibilité des annonces, il n’y a qu’un pas… que Cyril Janin (photo), président du directoire d’Adenclassifieds ne franchit pas.  « La force de nos sites, c’est leur identité. On pourra bien sûr vendre l’ensemble des marques à un client, mais ce n’est pas l’objectif ». Au contraire, l’affirmation de l’identité forte des sites du groupe nécessite de « considérer les chefs de marques comme en compétition les uns avec les autres. Ce n’est pas sur le marketing que se créent les synergies ».

 

L’intérêt de ce nouveau groupe est donc à chercher du côté de sa force commerciale. Les réseaux ont été réunis pour offrir à chaque recruteur un interlocuteur unique, qui développera son portefeuille en recommandant les marques les plus adaptées aux besoins exprimés par le client.

« pas moins de synergies entre l’emploi et l’immobilier qu’entre les pays »

On peut alors se demander ce qu’y apporte Explorimmo, spécialisé dans les annonces immobilières et dont les portefeuilles de clients sont distincts. Si la force commerciale d’Explorimmo demeure séparée, elle partagera ses locaux avec les autres marques du groupe, ce qui permettra à chaque site d’avoir un meilleur maillage du territoire. Explorimmo sera par exemple implantée sur Rennes et Nantes, deux villes où sa présence était faible. « Au-delà, indique Cyril Janin, la structure des portefeuilles BtoB et les process de commercialisations sont proches. Nous pourrons diversifier les filières d’évolution offertes aux 250 salariés d’Adenclassifieds. Il n’y a pas moins de synergies à être leader sur l’emploi et l’immobilier qu’à être leader sur l’emploi dans différents pays ».

Une stratégie multimarque qu peut s’étendre à d’autres acteurs ? Le président d’Adenclassifieds répond par l’affirmative. Si Le Figaro détient aujourd’hui 40% du capital du nouveau groupe, Le Monde en est désormais le 4e actionnaire avec 7%. « Le capital n’est pas figé, indique-t-il. Nous sommes d’ores et déjà en discussions avec d’autres titres de presse, ainsi qu’avec des acteurs Internet ».

Un clin d’oeil à peine voilé à RégionsJob, qui serait également convoité par l’Américain. Fort du succès de son modèle régional qui fait défaut aux deux géants du marché, la bataille pour le site détenu par le Télégramme, Le Monde et Le Nouvel Observateur pourrait bien être le premier acte du duel entre Monster et Adenclassifieds.